Géraldine Py et Roberto Verde élaborent des scénarios adaptatifs, qui acceptent l’imprévisibilité comme mode opératoire. Au travers films, installations ou sculptures, les artistes explorent des phénomènes empiriques, s’attachant au monde animal comme au monde inerte des matériaux. Ce sont leurs propriétés mécaniques qui les intéressent dans les deux cas. La performance d’animaux comme celle d’objets n’est jamais forcée, elle n’est que la mise en scène d’une observation presque scientifique.
Dans Cartonville, des escargots habitent une étrange favela de maisonnettes en carton. Un système de brumisation crée une pluie quotidienne qui invite les escargots à se mouvoir et grignoter, bousculer la topographie des lieux, la détruire peu à peu.
Jeux dans l’eau est un ballet de pelleteuses improvisé sur un chantier. Les machines semblent laisser libre cours à leur imagination, s’amusant à s’arroser, s’arrêtant, puis reprenant leur course. Le jeu paraît aller à l’encontre de toute idée de productivité.
Fils de bave expose sous vitrine de petits objets, rebuts récoltés dans l’atelier (ampoules, bouchons, vis…) et reliés par des fils de salive. Ainsi le déchet n’est pas laissé pour compte, il est magnifié, incontestablement recyclé, participant d’un nouvel ordre.
Toutes ces aventures entropiques, qui semblent n’avoir aucun but véritable, sont pourtant les jalons de la pensée d’un tout, plus grand que la somme de ses parties, mais une « pensée latérale » (Edward de Bono) considérant que l’imagination d’une solution impossible ou irréaliste peut servir d’étape à la découverte d’une solution possible et innovante.
Le recours au microcosme animal (comme dans Cartonville ou Favouilles, où les protagonistes étaient des crabes), à la manière d’une fable de l’auteur italien Trilussa, met en avant, plus qu’une satire de nos conditions d’animal social, la mécanique du vivant et son pouvoir équivalent de création et de destruction. Par métonymie, la vacance de l’être se voit alors comparée à la vacance de la machine qui fonctionne sans dessein. L’animal, l’objet, sont révélés dans toute leur dimension tragique, du moins mélancolique, et semblent nous dire “Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir” (Fin de partie, Samuel Beckett). Les artistes ne nient pas la part d’empathie qui peut se dégager de leurs oeuvres. Eux-mêmes se disent attachés à leurs animaux et aux objets qui les entourent. Par ailleurs leur poésie expérimentale provoque des sentiments tout aussi réjouissants que méditatifs. Certaines situations absurdes versent dans la veine du burlesque. Ce sont de brèves tentatives d’anarchie, des solutions domestiques précaires, mais autant de célébrations du réel dans ce qu’il a de surprenant.
Sandra Adam-Couralet, 2012